Un détenu à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas et l’Ordre des avocats au barreau de Lyon avaient saisi le tribunal administratif de Lyon d’une requête en référé-liberté (art. L. 521-2 du code de justice administrative), s’agissant de la situation sanitaire au sein de l’établissement pénitentiaire dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, de la protection de la santé des détenus, et des conditions d’intervention des avocats dans cette prison.
La maison d’arrêt de Lyon-Corbas, comme la plupart des établissements pénitentiaires, connaît en effet un phénomène de surpopulation carcérale depuis plusieurs années, puisque quasiment aucun détenu n’est seul dans sa cellule de 9m².
Difficile de respecter les gestes barrières dans ces conditions, alors d’ailleurs que les parloirs familles et les activités (sport, école…) ayant été supprimés pendant l’épidémie, les prisonniers restent quasiment la totalité de leur journée en cellule.
Dans ce contexte de promiscuité, la survenance de l’épidémie de Covid-19 a rapidement fait craindre des conséquences désastreuses en milieu carcéral, au regard de la rapidité de la propagation du virus et de sa forte contagiosité.
C’est la raison pour laquelle dès le 17 mars 2020, la Contrôleur générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) relevait que « Les conditions de détention des maisons d’arrêt les plus surpeuplées placent la population pénale en situation de risque sanitaire élevé […]. Leur sécurité n’est plus garantie ; l’administration manquera donc à son obligation de protéger les personnes qu’elle a placées sous sa garde si elle ne prend pas d’urgence les mesures nécessaires ».
Or, le premier cas de Covid-19 étant apparu à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas le 4 avril 2020, les prisonniers se sont inquiétés de la possible diffusion rapide de ce virus parmi eux.
Ce d’autant qu’ils constataient sur place que très peu de mesures avaient été prises par la direction de l’établissement pénitentiaire.
Pas de masques pour les auxiliaires (détenus assurant la distribution des repas, le nettoyage des parties communes…), pas de gel hydro-alcoolique, quasiment aucune distribution de produits désinfectants pour le lavage des cellules, placement dans des situations où il était impossible de respecter les gestes barrières (détenus mis dans des sas exigus à plusieurs avant le départ en promenade…), lenteur de la prise en charge médicale en cas de suspicion de contamination, aucune prise en compte des détenus contaminés mais asymptomatiques, aucun test de dépistage…
Des tels dysfonctionnements mettaient en danger les détenus comme les surveillants pénitentiaires, ainsi que les avocats qui venaient visiter leurs clients.
Dans ces conditions, les requérants demandaient au juge des référés du tribunal administratif de Lyon de prononcer plusieurs injonctions au directeur de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, afin de garantir tant la protection de la santé des personnes détenues que les conditions d’intervention des avocats.
Par une ordonnance du 22 avril 2020, le juge des référés du tribunal a rejeté cette requête.
Il estime que l’administration rapporte la preuve que des mesures suffisantes ont été prises pour garantir la santé des détenus et des intervenants en milieu pénitentiaire tels que les avocats.
Au-delà de ce dossier particulier, cette décision vient souligner une nouvelle fois avec force les limites du contrôle que le juge administratif exerce sur l’action de l’administration.
En l’espèce, l’administration pénitentiaire fournissait plusieurs documents censés justifier ce qui avait été mis en place au sein de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, et ceci dans le but de prouver que toutes les précautions sanitaires nécessaires avaient été prises.
Toutefois, par un mémoire en réplique circonstancié assorti de nombreuses nouvelles pièces, le requérant et l’Ordre des avocats au barreau de Lyon démontraient, attestations et témoignages à l’appui, que la situation prévalant au sein de l’établissement pénitentiaire était tout autre.
Notamment, des avocats attestaient du fait que très souvent les surveillants pénitentiaires ne portaient pas de masques, et que lorsqu’ils recevaient leurs clients au sein des parloirs avocat, il n’y avait aucun gel disponible, et qu’aucune distanciation sociale n’était possible au regard de l’exiguïté des locaux.
Des prisonniers affirmaient également que la plupart des surveillants pénitentiaires ne portaient pas de masques, et qu’ils étaient régulièrement placés en situation de risque, au regard notamment des règles de distanciation sociale. Ils faisaient état d’un manque cruel de produits d’hygiène, notamment pour ce qui concerne le nettoyage des cellules.
Ce mémoire n’aura même pas été communiqué par le juge à l’administration afin qu’elle réplique aux arguments avancés…
Ainsi, pour le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, à partir du moment où l’administration affirme avoir fait ci ou avoir fait ça, cette parole devient en quelque sorte vérité.
Peu importe qu’elle soit contredite par ceux-là même qui sont présents sur place, et qui sont en mesure de témoigner qu’en réalité de nombreux problèmes subsistent, et que tout ce que l’administration prétend avoir fait ne l’a pas été.
Mieux, afin que le juge puisse se faire lui-même une idée claire des choses, les requérants proposaient à ce qu’il procède à une visite des lieux.
Voilà qui lui aurait permis de trancher efficacement le litige, en constatant directement sur place quelle était la part du vrai et la part du faux entre ce que l’administration prétendait avoir fait et ce qui était véritablement mis en œuvre au sein de l’établissement pénitentiaire.
Mais dans son ordonnance, le juge rejette cette mesure d’instruction et estime, sur la seule base des éléments apportés par l’administration, qu’une visite des lieux est inutile…
Autrement dit, il s’interdit donc de pouvoir vérifier les allégations des uns et des autres en se rendant au sein de la maison d’arrêt.
Au nom de quel principe le juge devrait accorder une foi particulière dans ce qu’affirme l’administration, et, au contraire, avoir une défiance quasi systématique envers ce que disent les administrés ?
Il s’agit là d’un problème véritablement culturel chez le juge administratif.
Ses allers et retours avec l’administration, phénomène largement plébiscité par le Conseil d’Etat qui y voit la garantie que les magistrats administratifs connaîtront ainsi de manière précise le fonctionnement de l’administration, font qu’en réalité ceux-ci ne peuvent pas s’empêcher, lorsqu’ils jugent, d’estimer que le point de vue de l’administration prévaut sur tous les autres.
Cette problématique de la parole de l’administration versus la parole des administrés se pose à peu près dans tous les contentieux.
Le juge administratif du XXIe siècle devra rompre avec cette culture de révérence envers la parole administrative, et davantage tenir compte de la parole des administrés, qui sont ceux qui vivent les situations sur le terrain.
Il devra également mieux prendre en compte la parole de ceux qui assurent le respect des droits au sein de la société, parmi lesquels figurent les avocats.
Il devra enfin se départir de cette idée selon laquelle l’administration fait de son mieux, que tout ce qu’elle dit mettre en place est véritablement réalisé en pratique, et qu’il ne faut pas la gêner par des décisions juridictionnelles qui viendraient entraver son action.
Il deviendra ainsi un juge pleinement protecteur des libertés publiques et des droits fondamentaux, qui exerce un contrôle renforcé sur l’action administrative.