Yannis Lantheaume Avocat
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Employeurs, que risquez-vous si vous embauchez un étranger « sans-papier » ?

Droit des étrangers

L'employeur embauchant directement ou indirectement un salarié étranger non-européen démuni de titre de séjour délivré par les autorités françaises encourt des sanctions tant sur le plan pénal que sur le plan administratif.

On rappellera tout d'abord que l'article L. 8251-1 du code de travail dispose de manière très explicite que : « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France […] ».

Contrairement à une légende urbaine, il n'est donc pas possible de faire travailler en France un étranger muni, par exemple, d'une carte de séjour italienne mention « résident de longue durée – UE ».

Autre légende urbaine, un client m'a récemment dit qu’un ami lui avait assuré qu'il était possible de travailler légalement encore trois mois après la réception d'une OQTF…

En réalité, il faut détenir un document de séjour autorisant l'exercice d'une activité salariée pour travailler en France.

Et seuls les titres de séjour délivrés par les autorités françaises permettent à un étranger de travailler en France, à l'exception notable des compagnons d'Emmaüs, qui relèvent d'un statut spécial. Autrement dit, un étranger qui ne possède pas un titre de séjour délivré par la France ne peut y travailler, sauf s’il est compagnon d'Emmaüs…

On rappellera que s'agissant des Européens, ils sont logés à la même enseigne que les Français, ils peuvent travailler dans le secteur privé sans restriction, en se contentant de fournir leur passeport ou de leur carte d'identité. C'est un peu plus complexe pour les emplois publics, mais ce point ne sera pas abordé ici.

Alors que risque donc une entreprise qui embauche en France un salarié étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée ?


Sur le plan pénal

La sanction pénale encourue est lourde, puisque le code du travail prévoit pour l'infraction d'emploi d'un étranger sans titre une peine de 5 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende (article L. 8256-2 du code du travail).

Cette peine est également applicable à l’employeur tiers qui recourt aux services de l'employeur commettant cette infraction, la volonté du législateur étant ici de punir également le donneur d'ordre.

Le code prévoit que l’amende est appliquée autant de fois qu'il y a d’étrangers concernés par l'infraction.

Cela peut donc vite coûter très cher !

La seule façon pour l'employeur de s’en sortir sera de démontrer qu'il n'avait pas connaissance de l'irrégularité de la situation administrative de l'étranger, par exemple si ce dernier a présenté un faux titre de séjour.

Mais même dans ce cas, il lui faudra aussi justifier de ce qu'il avait rempli toutes les obligations lui incombant, à savoir :

- Déclaration auprès des organismes de sécurité sociale
- Déclaration unique d'embauche
- Vérification auprès de la préfecture du titre autorisant cet étranger à exercer une activité salariée en France.

Ce sont ici les peines encourues, et non pas les peines qui seront nécessairement prononcées par un tribunal à l’encontre de l'employeur fautif.

Faut-il encore en effet que le procureur de la République décide de poursuivre l'infraction, et que le juge adapte la sanction, puisqu'il est tenu par le principe d'individualisation de la peine (art. 132-24 du code pénal).

Mais au-delà de cette peine d'emprisonnement et de cette amende pénale, l'employeur risque également (c’est cumulatif) une amende administrative.


Sur le plan administratif

L' « amende administrative » a été créée par la loi « immigration » du 26 janvier 2024, et vise à remplacer l'ancienne « contribution forfaitaire » due à l’OFII (l'ancienne « contribution spéciale » a quant à elle été supprimée) en cas d'embauche d'un salarié étranger démuni d'autorisation de travail.

Les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail précisent le champ d'application de cette amende administrative, son montant, ses modalités de recouvrement ainsi que la procédure applicable.

C’est désormais le ministre de l'intérieur et des outre-mer qui est compétent, à la place de l'OFII, pour fixer le montant de l'amende et pour la recouvrir.

Le montant est élevé, puisqu’il est « au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux » (art. L. 8253-1 du code du travail).

Ce minimum garanti (à ne pas confondre avec le SMIC) était de 4,15 € par heure au mois d’août 2024.

Ainsi donc, un employeur qui ne serait pas concerné par un cas de réitération de l'infraction pourrait se voir infliger une amende administrative d'un montant de 10 375 € par salarié irrégulièrement embauché si l'administration lui appliquait par exemple une amende équivalente à 2 500 fois le taux horaire du minimum garanti, soit la moitié de ce qui est encouru (4ème alinéa de l’art. R. 8253-1 du code du travail).

L'amende maximale encourue est toutefois limité à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti « lorsque l'employeur s'est acquitté spontanément des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7 » (art. R. 8253-2 du code du travail), autrement dit quand il a volontairement payé toutes les sommes dues à l'étranger employé irrégulièrement au moment du départ de l'entreprise de celui-ci (notamment l'indemnité forfaitaire équivalant à trois mois de salaire).

Sachant que là aussi, l’amende est due autant de fois qu’il y a de salariés concernés (art. R. 8253-1 du code du travail), et qu’il existe un principe de solidarité financière du donneur d’ordre (art. R. 8254-7 et suivants du code du travail).

L’article L. 8253-1 du code du travail prévoit que pour fixer le montant de l’amende, l'administration tient compte de plusieurs critères :

- Les capacités financières de l'auteur d'un manquement
- Le degré d'intentionnalité
- Le degré de gravité de la négligence commise
- Les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière.

Autrement dit, une grosse entreprise du BTP cotée au CAC 40 ayant sciemment recouru à l'embauche de dizaines de salariés maliens sans autorisation de travail, et ce depuis plusieurs années, risquera beaucoup plus que la petite PME qui aura recruté un étranger « sans-papiers » en faisant preuve de négligence, et sera en mesure d’attester de sa bonne foi.

On précisera enfin que s’il embauche un étranger démuni d'autorisation de travail, un employeur lui-même étranger s'expose également au retrait de son titre de séjour (L. 432-7 et L. 432-11 du CESEDA), et à se voir interdire, ensuite d'une mesure d'éloignement prise en conséquence de ce retrait de titre, l’exercice de toute activité professionnelle en France pendant 3 ans (L. 432-8 et L. 414-14 du CESEDA).

Employeurs, en cas d'embauche d'un étranger sans titre de séjour vous risquez gros, donc mieux vaut éviter de jouer avec le feu !

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