Sans aucun égard pour les multiples voies internationales lui enjoignant de respecter le droit de manifester, le Parlement a adopté définitivement, le 12 mars 2019, la proposition de loi « visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations », portée par Les Républicains, qui avait été reprise à son compte par le Gouvernement.
Autrement connue sous le nom impropre de « loi anti-casseurs », cette loi a, en réalité, tout de la loi anti-manifestants.
Bref résumé des modifications apportées par ce texte, dont est désormais saisi le Conseil constitutionnel.
1/ Inspections et fouilles
Aux fins de rechercher les armes que pourraient détenir les manifestants, le procureur pourra prendre des réquisitions écrites autorisant les officiers de police judiciaire, sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats, à inspecter/fouiller les bagages des personnes, visiter les véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
Les procureurs, hiérarchiquement soumis au ministre de la Justice, recevront sans doute des instructions pour faire procéder à des fouilles systématiques et généralisée de véhicules, personnes, etc. dans les environs de toutes les manifestations de Gilets Jaunes.
2/ Interdictions préventives de manifester
Le préfet pourra, par arrêté motivé, interdire à un individu de participer à une manifestation sur la voie publique s’il estime que « par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, [cette] personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
Dans sa grande mansuétude, le Parlement a néanmoins ajouté que « L’arrêté précise la manifestation concernée ainsi que l’étendue géographique de l’interdiction, qui doit être proportionnée aux circonstances et qui ne peut excéder les lieux de la manifestation et leurs abords immédiats ni inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne intéressée ».
Le préfet pourra aussi imposer à cette personne « de répondre, au moment de la manifestation, aux convocations de toute autorité qu’il désigne ».
Bref, le manifestant interdit de manifester devra « pointer » au commissariat pour démontrer qu’il respecte bien l’interdiction que le préfet lui a imposé.
Les services de police vont être ravis de cette nouvelle tâche administrative inutile que leur impose l’État…
Mieux encore, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que [cette] personne est susceptible de participer à toute autre manifestation concomitante sur le territoire national ou à une succession de manifestations », le préfet pourra « lui interdire de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée qui ne peut excéder un mois ».
La personne concernée par une telle interdiction, et qui la bravera en manifestant quand même, encourra une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
Elle sera, dans tous les cas, inscrite au FPR, le fichier des personnes recherchées.
3/ Dissimulation du visage
Le fait de « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime », « au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis » est désormais puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Cette nouvelle disposition concerne-t-elle également les CRS et Gendarmes mobiles, alors que le port de la cagoule ou la dissimulation de leur visage est interdit lors de manifestations du type de celles des Gilets Jaunes… ?
Et qu’est-ce que « motif légitime » ? Par exemple le fait de vouloir se protéger des hectolitres de gaz lacrymogènes déversés chaque samedi par les forces de l’ordre ?
4/ Peine complémentaire
Une juridiction pénale pourra désormais assortir la peine qu’elle prononce (prison, amende…) d’une peine complémentaire d’interdiction de manifester. Un an de prison et 15 000 € d’amende pour la personne qui n’aura pas respecté cette interdiction de manifester.
Voilà qui est très pratique pour faire disparaître un mouvement social qui refuse de comprendre que le Gouvernement agit pour son bien !
5/ Contrôle judiciaire
L’interdiction de manifester pourra désormais être prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Pratique, là encore, pour éloigner les Gilets Jaunes en attente de jugement des manifestations.
S’ils ne respectent pas leur contrôle judiciaire – en se rendant à une manifestation – ils risqueront la révocation de ce contrôle, c’est-à-dire d’aller en détention provisoire.
Ça tombe bien il y a de très nombreuses places libres en prison !
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Au regard de cette proposition de loi incroyablement liberticide, dont on a peine à imaginer qu’elle ait pu être votée par des parlementaires conscients de ce que les valeurs républicaines signifient, une question se pose : en 2019, les Gilets Jaunes auront-ils encore le droit de manifester ?
L’on imagine très bien que les préfectures, en lien avec les services de renseignements, vont s’attacher à interdire préventivement aux membres les plus connus des Gilets Jaunes de participer aux manifestations du samedi, espérant – naïvement ! – que le mouvement, ainsi décapité, s’éteindra de lui-même.
Fort heureusement, des recours existent, en l’occurrence le référé-liberté prévu à l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Il permet de saisir le tribunal administratif en extrême urgence lorsqu’est en cause l’exercice d’une liberté fondamentale (le droit de manifester en est une).
Mais les tribunaux administratifs sauront-ils s’organiser pour juger en si peu de temps, alors que la loi prévoit que le préfet pourra notifier l’interdiction de manifester « au plus tard quarante‑huit heures » avant la manifestation ?