Malgré ces annulations contentieuses nombreuses, le président de la CRRV semble continuer sa pratique consistant à statuer seul sur des recours qui pourtant devraient être examinés par la commission régulièrement.
La Commission de recours contre les refus de visa (CRRV) est une « autorité de caractère collégial » (CE, 28 novembre 2003, n°249729) chargée de statuer sur les recours exercés contre les refus de visa d’entrée en France.
Sa saisine constitue un préalable obligatoire avant tout recours contentieux.
Le recours devant la CRRV constitue donc ce que l’on appelle un RAPO (recours administratif préalable obligatoire).
La CRRV est présidée – depuis pas moins de dix ans… – par Monsieur Daniel LABROSSE, ancien ambassadeur.
L’organisation et le fonctionnement de cette commission est prévu par les articles D. 211-5 à D. 211-10 du CESEDA (le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Il a été dit dans un précédent article (« A quoi sert la commission de recours contre les refus de visa ? ») que cette commission ne servait pas à grand-chose, puisqu’elle rejetait pas moins de 98% des recours.
Son unique intérêt pour l’administration – c’est pour cette raison qu’elle a été créée – est de dissuader les administrés d’aller devant un tribunal pour contester le refus de visa dont ils font l’objet.
La plupart des gens en effet, lorsqu’ils ont exercé leur recours devant la CRRV, se découragent quand ils reçoivent une réponse négative de celle-ci, pensant qu’il en sera de même devant le tribunal.
Il est également important de préciser que, selon les derniers chiffres disponibles (2018), la CRRV n’examine qu’un recours sur deux. La moitié des recours fait ainsi l’objet d’une décision implicite de rejet.
Pour l’autre moitié normalement, la commission devrait donc réunir ses membres pour examiner le recours.
La CRRV est composée d’un président (Monsieur Daniel LABROSSE, donc), qui est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire.
Elle comprend, en outre :
1° Un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative ;
2° Un représentant du ministre des affaires étrangères ;
3° Un représentant du ministre chargé de l’immigration ;
4° Un représentant du ministre de l’intérieur.
Toutefois, l’article D. 211-9 du CESEDA dispose que « La commission peut soit rejeter le recours, soit recommander au ministre des affaires étrangères et au ministre chargé de l’immigration d’accorder le visa demandé. Le président de la commission peut rejeter, sans réunir la commission, les recours manifestement irrecevables ou mal fondés ».
Et le président de la CRRV fait un usage massif de cette possibilité, pour se débarrasser de recours qu’il estime sûrement trop nombreux…
Il a ainsi tendance a très vite considérer qu’un recours sera « manifestement mal fondé » au seul motif qu’il ne comporte pas, par exemple, d’éléments nouveaux par rapport à la demande initiale de visa.
Statuer seul sur les recours, en général deux ou trois jours – voire le jour même – de la réception du recours par la CRRV, lui permet ainsi d’évacuer de nombreux recours rapidement, sans avoir à saisir la commission.
Cette pratique expéditive a pourtant été maintes fois sanctionnée par le tribunal administratif de Nantes, qui rappelons-le est compétent pour tous les « litiges relatifs au rejet des demandes de visa d’entrée sur le territoire de la République française relevant des autorités consulaires » (art. R. 312-18 du code de justice administrative).
Voir ainsi : TA Nantes, C+, 14 mars 2019, n°1810788, TA Nantes, 3 avril 2019, n°1811810, TA Nantes, 7 novembre 2019, n°1905441.
La cour administrative d’appel de Nantes a également été amenée à annuler des décisions du président de la CRRV statuant seul.
Ainsi : « Il ressort des pièces du dossier, notamment des termes du recours devant la commission, que M.C…, après y avoir rappelé les références des dossiers de demandes de visas, indique clairement vouloir former un recours contre les décisions de refus et conteste les deux motifs de rejet des demandes de visas formées pour ses enfants allégués, tenant au caractère imprécis des déclarations relatives à la filiation maternelle des enfants, d’une part, et à l’établissement tardif des documents d’état-civil produits à l’appui de ces demandes, d’autre part. Ce recours, bien que motivé de manière succincte, comportait néanmoins des éléments de discussion du bien fondé des motifs de la décision de refus des autorités consulaires dont rien n’indiquait, à ce stade de la procédure, qu’ils soient manifestement dépourvus de tout bien fondé et par là même insusceptibles de le faire prospérer. Il appartenait donc à la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France de statuer collégialement au fond sur le recours de l’intéressé en apportant une nouvelle appréciation sur les demandes de visas, à partir des éléments mis en avant par M. C…pour contester le motif de la décision de refus du poste consulaire et des autres éléments du dossier. Dans ces conditions, le président de la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France a fait une inexacte application des dispositions de l’article D. 211-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en rejetant comme manifestement mal fondé le recours de M. C…par les motifs précités. Sa décision du 19 mai 2015 doit par suite être annulée » (CAA Nantes, 10 mai 2019, n°18NT02980).
Malgré ces annulations contentieuses nombreuses, le président de la CRRV semble continuer sa pratique consistant à statuer seul sur des recours qui pourtant devraient être examinés par la commission régulièrement réunie.
Irresponsabilité ?
A chaque annulation d’une décision illégale du président de la CRRV, cela coûte à l’Etat entre 1 000 et 1 500€ en frais de procès perdu.
Que pense Monsieur LABROSSE de cette dépense publique inutile en période de disette budgétaire, et alors que le ministre de l’Economie Bruno LE MAIRE a annoncé que la dette publique de l’Etat pourrait dépasser les 115% du PIB fin 2020 ?