Nous avons déjà eu l’occasion de le dire dans le cadre de ce blog, la préfecture du Rhône regorge en permanence d’idées novatrices.
C’est un véritable concours Lépine des inventions les plus géniales.
Lorsqu’on lit la communication institutionnelle, les changements apportés ont toujours pour objectif une amélioration de l’accueil des étrangers, et du traitement de leurs demandes.
Problème : c’est toujours le résultat inverse qui est obtenu !
Ce doit être la faute à pas de chance, sans doute…
Ou au Covid peut-être, puisque le Covid est désormais l’explication à tous les dysfonctionnements préfectoraux (ce à quoi nous répondrons que le chaos régnait en préfecture du Rhône bien avant la pandémie du coronavirus).
Si vous voulez mon point de vue, c’est plutôt qu’on est en face d’une préfecture de Shadoks !
Voici donc une nouvelle histoire shadokienne…
***
J’avais été intrigué par le nombre de personnes qui me contactaient pour des problèmes d’absence de réponse à leur demande de document de circulation pour étranger mineur.
Pour mémoire, ce qu’on appelle le DCEM, ne constitue pas un titre de séjour (le mineur n’en a pas besoin, Cf. art. L. 411-1 du CESEDA) mais simplement un document visant à faciliter le retour sur le territoire français après un départ à l’étranger.
Titulaire d’un DCEM en cours de validité, le mineur n’a pas besoin de demander de visa pour revenir en France (art. L. 312-5 du CESEDA).
La délivrance des DCEM est prévue par l’article L. 414-4 du CESEDA, et, pour les ressortissants algériens, par l’article 10 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.
La délivrance des DCEM n’a jamais posé de difficultés.
Pour une administration, il s’agit d’un dossier particulièrement simple à instruire, et moins d’une dizaine de pièces sont à fournir par le mineur étranger qui le demande.
Sauf que voilà, la préfecture shadokienne a décidé en juillet 2020 de dématérialiser entièrement la démarche de demande de DCEM, sans aucune alternative possible.
Précisons d’emblée que la dématérialisation d’une procédure n’est pas un problème en soi.
Elle peut même être un atout, si elle fonctionne correctement, et à la condition qu’il existe également des alternatives pour les personnes qui maîtrisent mal Internet.
Dans sa marche forcée à la dématérialisation, la préfecture du Rhône a toutefois décidé de n’offrir aucune autre possibilité, même par courrier, pour déposer une demande de DCEM.
C’est déjà un problème puisque certaines personnes doivent se faire aider, voire avoir recours à une association ou un avocat, afin de déposer leur demande.
Pire, lorsqu’elle a mis en œuvre cette dématérialisation, la préfecture du Rhône a écrit aux personnes qui avaient précédemment déposé un dossier en version « papier », pour les informer que leur demande était « classée sans suite » et qu’il fallait redéposer tout le dossier par Internet !
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la préfecture du Rhône s’autorise donc à détruire des dossiers qui lui avaient été soumis par des usagers, et à exiger d’eux qu’ils redéposent une demande sous un autre format, et qu’ils attendent à nouveau de nombreux mois qu’on leur réponde…
Imaginez qu’il soit possible d’envoyer une demande de carte grise par courrier, et que plusieurs mois après l’envoi de votre demande, vous receviez un mail qui vous dise : « nous avons changé de système, votre dossier a été classé sans suite, vous devez refaire la demande par Internet… ».
On serait curieux de savoir ce que pensent de pareilles pratiques les agents de la préfecture du Rhône et leurs syndicats…
Rappelons à cet égard qu’un fonctionnaire travaille dans l’intérêt du public, et non dans l’intérêt de ses responsables hiérarchiques.
Bénéficiant de la sécurité de l’emploi, il ne craint aucun licenciement s’il dénonce des faits qui lui paraissent illégaux ou anormaux.
Il est donc de son devoir de s’élever contre des mesures attentatoires à l’intérêt des usagers.
Quoi qu’il en soit, cette seule manœuvre en dit long sur le mépris total dans lequel cette préfecture tient les usagers, tout particulièrement les usagers étrangers.
Que l’on ne nous parle pas, ensuite, de la charte Marianne, ou de « certification qualité ISO 9001 » que la préfecture du Rhône se targue de respecter, prétendant s’inscrire « dans une démarche d’amélioration continue de la qualité et du service rendu à l’usager depuis plusieurs années » !
Les ressortissants étrangers ayant reçu le mail évoqué plus haut ont donc déposé à nouveau leur demande de document de circulation pour étranger mineur par la voie dématérialisée, et attendent patiemment la réponse de la préfecture.
Alors sachez-le, celle-ci n’est pas prête d’arriver !
Dans un récent contentieux au tribunal administratif de Lyon, contre un rejet implicite de demande de document de circulation pour étranger mineur (rejet qui naît – et que l’on peut donc contester – deux mois après le dépôt de la demande) le préfet du Rhône a tout simplement affirmé dans un mémoire en défense, afin de justifier sa décision, que le traitement de toutes les demandes de DCEM (sauf pour des motifs impérieux, comme par exemple un voyage à l’étranger pour des funérailles) avait été « suspendu » !
Pour quelles raisons ? Selon quelles règles ? Quelles ordonnances gouvernementales ont autorisé cela ? Quelles instructions ministérielles ont-elles été données en ce sens ?
Aucune.
Comme d’habitude, la préfecture du Rhône édicte ses propres règles, avec pour objectif principal d’avoir à traiter le moins de dossiers possibles, afin d’adapter le nombre de dossiers à ses moyens humains (c’est-à-dire concrètement au nombre d’agents en mesure de traiter les demandes), alors que ce devrait être l’inverse.
Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a évidemment censuré cette pratique et a enjoint à l’administration de réexaminer la demande de DCEM de mon client dans un délai de cinq jours, la condamnant au passage à lui verser la somme de 1000 € au titre de ses frais de procès (TA Lyon, ord., 12 mai 2021, n°2103013).
Évidemment, la préfecture se contrefiche de cette condamnation pécuniaire, puisque ce sont tout simplement nos impôts qui paient !
Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire désormais, si vous n’avez pas de nouvelles de votre demande de DCEM : attaquer le refus implicite au tribunal administratif de Lyon, dès les deux mois suivant le dépôt de la demande.
Il est sans doute regrettable d’avoir à entamer une procédure pour une démarche aussi basique qu’une demande de DCEM, mais il est désormais acquis que la préfecture du Rhône connaît pour seul langage celui du contentieux.
***
Yannis Lantheaume
Avocat au barreau de Lyon
www.lantheaume-avocat.fr