Yannis Lantheaume Avocat
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Tirs de LBD 40 sur des manifestants : qu’en dit le tribunal administratif de Lyon ?

Droits et libertés

Madame Mélodie X. a participé, le 9 février 2019, à une manifestation de « Gilets Jaunes » à Lyon.

Elle a été victime d’un tir de LBD 40 (lanceur de balles de défense de diamètre 40 mm) à la jambe, alors qu’elle était de dos, ne commettait aucune violence et se trouvait même en marge du cortège.

Souhaitant participer à la manifestation du samedi 23 février 2019 à Lyon tout en y craignant pour sa sécurité physique, au regard de la blessure subie lors du défilé précédent, elle a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une requête en référé-liberté présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Elle a ainsi demandé au juge de prononcer plusieurs mesures, et notamment :

1/ D’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles afin de garantir le respect effectif de son droit à manifester lors de la manifestation du samedi 23 février 2019 à Lyon et, le cas échéant, des suivantes ;

2/ D’enjoindre au préfet du Rhône de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser le risque d’atteintes graves et caractérisées à son intégrité physique dans le cadre de ces manifestations, notamment en :

– S’abstenant de faire participer au dispositif de maintien de l’ordre toutes unités non spécialisées dans ces opérations ;

– Procédant au retrait des armes de force intermédiaire les plus dangereuses, notamment des lanceurs de balles de défense LBD 40, ou toute autre arme susceptible de lui occasionner des blessures graves ; subsidiairement, en interdisant à toute unité non spécialisée dans le maintien de l’ordre d’utiliser de telles armes ;

– Diffusant aux forces de l’ordre une note écrite leur rappelant leurs obligations déontologiques et le cadre juridique d’emploi de leur matériel, notamment des armes type LBD 40 ;

Le tribunal a, preuve de l’importance donnée à l’affaire, statué en formation collégiale.

Il a rejeté la requête, par une ordonnance du 22 février 2019.

Cette décision « s’inscrit dans [le] courant jurisprudentiel » initié par le Conseil d’Etat, pour reprendre l’expression employée par le tribunal dans son communiqué, disponible sur le site de la juridiction.

De fait, le Conseil d’Etat a en effet rejeté, par trois ordonnances du 1er février 2019 également rendues en formation collégiale, les requêtes en référé-liberté déposées par quatre requérants individuels résidant à Montpellier, par la Ligue des droits de l’homme, l’UD-Paris de la CGT ainsi que, conjointement, par le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature.

La décision rendue par le tribunal administratif de Lyon, comme d’ailleurs celles du Conseil d’Etat, est critiquable à maints égards, et mériterait une analyse juridique poussée, qui ne sera pas faite dans le cadre de ce blog.

Il sera simplement constaté ici qu’il existe un décalage considérable entre ce qu’ont jugé les juridictions administratives et la réalité des faits.

En effet, le Parlement européen a solennellement condamné, jeudi 14 février 2019, « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ».

Cette résolution relative au « droit à manifester pacifiquement et l’usage proportionné de la force » a été adoptée à une très large majorité de parlementaires européens.

Le texte rappelle que « le recours aveugle à la force contre la foule est contraire au principe de proportionnalité ». Surtout, il « estime que la violence contre des manifestants pacifiques ne peut jamais constituer une solution ni dans un débat ni en politique ».

Le même jour, un groupe d’experts de l’ONU a publié un communiqué de presse dans lequel il relève que « le droit de manifester en France a été restreint de manière disproportionnée lors des manifestations récentes des « gilets jaunes » et les autorités devraient repenser leurs politiques en matière de maintien de l’ordre pour garantir l’exercice des libertés ».

Les experts rapportent que : « depuis le début du mouvement de contestation en novembre 2018, nous avons reçu des allégations graves d’usage excessif de la force. Plus de 1 700 personnes auraient été blessées à la suite des manifestations dans tout le pays ».

Selon eux, « les restrictions imposées aux droits ont également entraîné un nombre élevé d’interpellations et de gardes à vue, des fouilles et confiscations de matériel de manifestants, ainsi que des blessures graves causées par un usage disproportionné d’armes dites ‘non-létales’ telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense ou flashballs ».

Ces vives critiques s’ajoutent à celles de nombreux observateurs, chercheurs, journalistes ou simples manifestants, qui constatent que le gouvernement français a opté pour une stratégie consistant à privilégier l’usage très marqué de la force afin de « résoudre » le problème que lui pose le mouvement des Gilets Jaunes.

Ce choix politique se traduit par une répression massive des manifestants, un usage sans précédent des armes, notamment des armes dites « de force intermédiaire » (LBD 40, grenades de désencerclement…), et une volonté d’essayer de dissuader les Gilets Jaunes de continuer à manifester.

Tout ceci n’empêche pas le tribunal administratif de Lyon d’estimer dans son ordonnance, à contre-courant de ce qui précède, que « les faits invoqués par la requérante ne démontrent pas que la détention et l’utilisation par les forces de police des armes, objet du présent litige, seraient de manière générale inutiles ou excessives, et ne pourrait pas se révéler indispensables, alors que certains groupes de manifestants peuvent être extrêmement violents. Les quelques exemples avancés de mauvaise utilisation de ces armes à Lyon ne sauraient établir l’allégation selon laquelle la règlementation de leur usage est enfreinte de façon habituelle. Il ressort au contraire des pièces du dossier que, dans la mesure où l’emploi de ces armes n’est pas justifié, les forces de police savent régler la situation sans y avoir recours, ce qui montre une certaine mesure dans leur utilisation ».

Nul doute que les « 144 blessés graves parmi les gilets jaunes et les journalistes, dont 92 par des tirs de lanceur de balle de défense » auront apprécié la « mesure » dont ont fait preuve les forces de police dans l’usage des armes de force intermédiaire…

La décision du tribunal a donc repris pour l’essentiel l’argumentation de la préfecture du Rhône – autrement dit de l’Etat – selon laquelle les violences policières étaient un non-problème, que les policiers étaient bien formés, que la doctrine française de maintien l’ordre était parfaitement adaptée à la situation, etc.

Pourtant, à peine quelques jours après la lecture de cette ordonnance, le Conseil de l’Europe demandait à son tour à la France de suspendre l’utilisation du LBD 40, l’invitant à revoir « au plus vite » la doctrine d’usage de ces armes.

Le journaliste David DUFRESNE rappelle pour sa part qu’il y a eu 12 000 tirs de LBD 40 en trois mois, soit davantage que depuis que cette arme est apparue en France, c’est-à-dire depuis le début des années 2000 !

Il en conclut qu’il ne s’agit plus d’une arme de « défense » comme son nom l’indique, mais d’attaque.

Ceci est d’autant plus problématique que la plupart des tirs de LBD 40 émanent d’unités de police non spécialisées dans le maintien de l’ordre, tout particulièrement les BAC (Brigades anti-criminalité).

Ainsi, le quotidien Le Monde relève-t-il que « Sur les 9 228 tirs de LBD – selon les comptages arrêtés après l’acte XI de la mobilisation, le 26 janvier –, la gendarmerie nationale n’en a effectué que 1 065 » et que « les soixante compagnies spécialisées dans le maintien de l’ordre (les CRS) n’ont tiré que quelque 2 500 cartouches sur les 8 163 attribuées aux policiers ».

En d’autres termes, les deux grands corps dédiés au maintien de l’ordre (CRS et gardes-mobiles) sont à l’origine de seulement un tiers des tirs de LBD.

Et ce n’est pas comme si de telles armes étaient inoffensives et ne nécessitaient pas de peser gravement l’opportunité d’en faire usage…

Ainsi le neurochirurgien Laurent THINES détaille-t-il la gravité des lésions infligées par les armes sub-létales : « Je suis effaré de voir des gens revenir de manifestation avec des blessures gravissimes, qui entraînent des pertes de substance. Les LBD sont faits pour neutraliser des individus dangereux sans les tuer, on en a vu utilisés contre des terroristes ; ce ne sont pas des armes de maintien de l’ordre, ce sont des armes fabriquées pour blesser gravement ».

La force d’impact d’une balle de LBD tirée à moins de 10 mètres est « l’équivalent d’un parpaing de 20 kilos lâchés à un mètre de hauteur sur votre tête »…

Plus les semaines avancent, plus les réseaux sociaux regorgent d’images et de vidéos de manifestants blessés, dont une très grande partie n’avait strictement rien à se reprocher, à l’image de la requérante, Madame Mélodie X, qui ne faisait qu’exercer son droit de manifester, droit somme toute banal dans une démocratie digne de ce nom.

Une vidéo particulièrement accablante, intitulée « Gilets Jaunes : les blessés qui dérangent », illustre la gravité du phénomène de violence institutionnelle qui se joue en France depuis quelques mois.

Les juridictions administratives apparaissent donc bien seules à défendre le maintien de l’ordre « à la française », en réalité désormais indéfendable…

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